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Qu'il fait bon dans mon moulin
Qu'il fait bon dans mon moulin
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23 avril 2014

Qu'il fait bon dans notre moulin (série à suivre) 2

Boreal

Chapitre 1  (suite)

Bouna Meïr

Meïr a plus d’une corde à son arc, puisqu’il pratique parfaitement l’équitation. Plus d’une fois, faisant fi à son âge avancé et sa petite taille, il arrive monté sur la croupe de son cheval au galop et tel un jeune jockey, il rattrape un chapeau jeté à même le sol, par un de ses fils. Dans ces cas il est applaudi par l’assemblée de ses voisins en admiration. Bouna Meïr est aimé, apprécié et respecté dans les environs de Moulinville (Ariana). Il est aussi vénéré par son épouse et ses enfants, car de son époque au début du XXème siècle, le contraire aurait été inconcevable, le chef de famille étant un patriarche honoré.

Bouna Meïr adore sa compagne Méha (Sméha : Heureuse) et les regards qu’ils échangent en disent long sur leurs sentiments. Ah ! Comme ils sont beaux ces deux tourtereaux centenaires ! La veille du samedi, Bouna Meïr n’oublie pas de chanter la louange de sa femme, avant le Kiddoush * :

Sméha est un bijou de rare beauté

Heureuse et souriante

Son épaule est mon appui  

Blotti dans ses bras doux

Ses valeurs dépassent son pesant de perles

Mama Sméha et Bouna Meïr vivent 105 et 108 ans respectivement. Mama Sméha quitte ce monde huit jours avant la naissance de son arrière petite fille Myriam. Bouna Meïr survit trois ans de plus. Ses petits enfant se souviennent que Mama Sméha était grande de taille, mais courbée par le harassement et la faiblesse dus à l’âge. Son mari est bien plus petit. La petite Rosette (Ourida) voit un jour la mamie se lever en s’étirant et elle s’écrie :

—  Maman ! Viens voir, Grand-mère a grandi. Rosette est attendue chaque jour, après l’école par son papi près de la baraque du marchand de glace. Elle dit à ses camarades :

—  Regardez, grand-père a des nouvelles dents. Papi, montre-nous tes dents. Le centenaire ouvre la bouche s’exécutant à la demande de la petite fille. En fait par un phénomène de la nature, les deux vieux voient leurs cheveux pousser noirs comme l’ébène et leurs dents repousser comme des nouveaux nés. Un jour Meïr veuf depuis trois ans, demande à ses fils de s’assoir auprès de lui plutôt que d’habitude, et leur dit à leur grande surprise :

—  Venez Isthak et Chlomo. J’ai vécu une longue et belle vie. Il serait temps de nous séparer. Notre maison est grande. Vous construirez un mur mitoyen au milieu, juste ici et vous partagerez ainsi équitablement notre domaine entre vous deux. A toi Itshak je lègue mon affaire de bijouterie et à toi Chlomo mon commerce de brocanterie. A chacun selon les compétences qu’il a montrées dans le passé. Sur ma tombe écrivez tout simplement :

Ici git Bouna Meïr

Les deux fils protestent. Meïr demande alors de lui préparer un bon thé à la menthe, bien sucré. Il boit lentement, à petites gorgées et avec un plaisir évident le breuvage bien chaud et doux. Il replace enfin le verre vide sur la table, et avant de poser sa tête sur son coussin et s’endormir... pour toujours, il leur recommande d’acheter du pain entier, des olives noires et des œufs*.

Son âme pure quitte son corps et deux anges viennent l’accompagner au septième ciel. La famille éplorée, les amis désolés, les voisins hébétés organisent des funérailles dignes de cet homme de qualité. Ensuite les œufs sont bouillis et servis aux proches, avec le pain et les olives : c’est le premier repas de deuil, l’aâja comme on le nomme en Tunisie jusqu’à nos jours. Comme épigraphe ses fils font graver sur le marbre ce poème selon H.N. Bialik.

Ici git Bouna Meïr

Décédé au crépuscule de la vie

Il a tant écrit, récité et conté

Mais il laisse un manque

Son dernier poème

N’a pas été mis en page

Il avait encore un vers

A écrire

Mais qu’on ne lira jamais

Il avait encore un refrain

A composer

Mais qu’on n’entendra pas

Perdu à jamais

***

Pendant la semaine de deuil, la Chivâa *, on parle sans arrêt du papi, très actif et très généreux. Voici une anecdote rapportée par une connaissance nommée Lahmar (Le rouge).

El-zerat 

Bouna Méir est surnommé - à cause de sa profession - El G’ridi : le colporteur en langue arabe. Son travail, consistant de voyager à dos d’âne, de village en village, de hameau en hameau, proposant sa marchandise achetée dans les villes : des casseroles des marmites, des bougies, des allumettes et un tas d’objets et d’ustensiles nécessaires dans chaque foyer. Il achète à son retour dans les villages des produits demandée à Sfax. L’aïeul très apprécié pour son efficacité et sa bonne humeur, est souvent invité. Nombreux le nomment : Jédi Meir. Convié à une noce, dans un trou perdu pas loin de Ben Garden (sur la frontière de Lybie), il y arrive bien habillé, son âne tout pomponné et des rubans rouges l'ornant.

Or voilà qu’au cours de la réception, un bruit incongru éclate du côté de la jeune mariée, de blanc habillée et couronnée de fleurs d’oranger. Les convives sont ébahis, des murmures de réprobation sont chuchotés, et du coin de la famille du mari, c’est la contrariété totale. On s’attend à beaucoup plus de politesse de la part d’une harroussa, une jeune mariée. Des menaces fusent dans l’air, des éclairs s’allument dans les yeux et on s’attend au pire. C’est alors que le Grand Père sauve la situation.

— Je m’excuse Mesdames et Messieurs, Siedi ou Sadati. Il se courbe dans une belle révérence, plein de charme. Il étale un grand sourire, et demande une seconde fois pardon. Vous voyez, je suis désolé de ma conduite impolie. Ce pet m’a échappé.

— Mais le pet venait du côté de la mariée, fait remarquer l’un des convives.

— Vous vous trompez Sidi, cela venait de moi. Zret li, dit-il, c’est par étourderie. Il a échappé seul.

Ainsi Bouna Meïr tire la haroussa d’un mauvais pas. On lui fut gré de sa bienveillance, de la part de la mariée, et on le couvre de présents. Mais son meilleur cadeau fut la bonne action, qu’il a eu l’occasion de faire, ce qui le remplit de joie. Mais il a droit au pseudonyme pas sympa : El zarat : le péteur. Avant de prendre congé de la jeune épouse, il l’a bénie en ces termes :

Yarra khadamek men hzamek

Barroudek men tramek

Ouzg’arak fi hjamek.

Ou en Français :

Ton avenir ma chère

Est dans ton sein de mère

Et de ton pont arrière,

Éclatera le tonnerre.

Ce qui veut dire en somme, que l’avenir de la maman est dans les enfants qu’elle enfantera, les pets n’étant qu’une manifestation normale et saine.

(A suivre...)

le Kiddoush * : Bénédiction de la création

 

Source: Externe

 


 

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