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Qu'il fait bon dans mon moulin
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26 avril 2015

Note de lecture : Hédi Bouraoui et les valeurs humanistes

 

lectoure2013

NOTE DE LECTURE


Revue Lectures de Mac Orlan, n° 3, Remiencourt, éd. Lectures de Mac Orlan et les auteurs, 2015, p. 200-202, par Isabelle Rachel Casta, Professeure à l’Université d’Artois d’Arras :

Theuriau Frédéric-Gaël (dir.), Hédi Bouraoui et les valeurs humanistes
234 pages, 2014

ISBN 978-2-924319-07-09 (br.)

ISBN 978-2-924319-08-6 (PDF)

CMC Éditions, Canada, Université York

« Je laisserai voguer mes« non»

À voiles toutes

Pour me frayer les routes de la candeur

Et si jamais ils en doutent

Je les prendrai à bras le corps

Pour étouffer torts et déroutes»

(poème publié dans Arts le Sabord, n° 85, p. 30)

Comme le laissent entendre et comprendre les quelques vers choisis pour cet exergue, c’est à un poète et à un romancier que le recueil ici présenté se consacre – plus exactement en rassemblant les « Actes du Colloque International « Culture globale et Valeurs humanistes dans l’œuvre de Hédi Bouraoui » qui s’est déroulé du 23 au 26 mai 2013 à Lectoure (Gers), sous la responsabilité de Pierre Léoutre (« Dialoguer en poésie »).

L’essayiste critique Frédéric-Gaël Theuriau a rassemblé et ordonné les différentes communications, dont nous allons succinctement citer les titres et les auteurs – ils nous pardonneront cette désinvolture bien involontaire ; en introduction : « Hédi Bouraoui ou la valeur de l’humanisme », de Frédéric-Gaël Theuriau, puis « Livr’errance d’Hédi Bouraoui : l’entre deux de la critique et de la poésie » , sous la plume de Angela Buono ; « Hédi Bouraoui : un poète sans domicile fixe », nous est proposé par Monique W. Labidoire, suivi par : « Méditerranée : d’un rivage à l’autre, des cultures antiques à celles du IIIe millénaire, vent en poupe et voiles déployées, à la recherche de la petite île fortunée », de Marie-Andrée Ricau-Hernandez. Nous retrouvons le maître d’œuvrepour « Poétique d’un vocabulaire et d’un langage spécifiques » (Frédéric-Gaël Theuriau), que vont rejoindre « Corps et écriture dans Livr’errance » (SamiraEtouil), « Hédi Bouraoui ou la « poétique du sens », Boussad Berrichi), « Nager à contre-courant : en amont de l’intuition d’Hédi Bouraoui », (Elizabeth Sabiston), « L’héritage littéraire de Macédoine et sa transposition en poésie par Hédi Bouraoui : une contribution à la francophonie littéraire mondiale » (Irina Babamova), « L’écriture « à travers » dans l’œuvre poétique d’Hédi Bouraoui », d’Eric Jacobée, et « Paris Berbère : roman de Hédi Bouraoui », par Rachid Aous. Enfin la conclusion est apportée par Pierre Léoutre et Marie-A. Ricau-Hernandez, dans une synthèse intitulée : « culture globale et valeurs humanistes ».

Ce qui fait l’intérêt et la saveur du présent volume - et que met particulièrement en exergue la présentation de F.-G. Theuriau -, c’est que l’auteur, né en Tunisie, vivant au Canada et écrivant en français, incarne complètement et plaisamment la quintessence des valeurs ici soulignées : cet humanisme ouvert et lumineux, cet accueil à l’autre, cette acceptation généreuse de toutes les influences et de tous les apports, il ne se contente pas d’en parler ; il les vit, les donne à voir, à éprouver, à lire !

Citons, sur le mode cocasse, cette forme d’autoportrait poétique, qui le dessine à grands traits : « Tu me domines Américain de mes amours/ Je me canadianise /Tonique-moi le/Ce vers de tes dollars/Je suis cané / [...] Canerons-Nous mon identité /Sans qu’on me le dise » (Échosmos, in « Canaduitude », 1986).

Note : la couverture, un paysage de Lectoure

Même la désillusion cruelle, la tristesse devant sa ville natale saccagée et bétonnée se muent en sagesse et en acceptation… car, comme nous le dit F.G. Theuriau, il serait vain de se battre contre le temps : « Il accepte les changements qui l’ont flétrie non sans évoquer l’ancienne Sfax avec toutes ses beautés. Il s’épanche, nostalgique, sans s’apitoyer » (p. 92).

Rachid Aous y insiste encore : « toutes ces thématiques soulèvent la question cruciale de « l’identité » dans la mesure même où elle est au coeur de nombreux problèmes sociaux et politiques cristallisant le rejet de l’altérité ou, pour le moins, le renforcement de réflexes d’enfermement culturel ethnocentrique » (p. 200). Et l’on pourrait bien sûr citer toutes les communications qui, d’une façon ou d’une autre, magnifient « l’interstice », le nomadisme, la bienveillante malice du regard de Bouraoui sur ses contemporains et sur le vaste monde !
C’est pourquoi l’analyse de Frédéric-Gaël Theuriau nous semble essentielle : à travers deux recueils poétiques, Sfaxitude (2005) et Illuminations Autistes (2003), il lit l’affleurement d’une parole intime, profondément originale, et qui nous fait – personnellement – penser au jeune Paul Éluard de Capitale de la Douleur, et même, pour l’acceptation tonique de l’adversité et la constante affirmation de la foi en l’avenir, le René Char de Seuls demeurent (Partage formel) : « à chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir » !

Monique Labidoire évoque elle aussi l’amour de la vie et le sens du voyage qui animent l’auteur : « Pour Hédi Bouraoui, heureux héritier de trois cultures et cherchant sans cesse à en partager d’autres, c’est se tenir prêt à quitter le désert et la rose des sables pour les baleines du Saint-Laurent en faisant halte sur les quais de la Seine », (p. 49). C’est sans doute à cette errance heureuse, à cette porosité sans cesse réaffirmée aux splendeurs du monde, aux influences multiples et harmonieusement réinterprétés, que nous devons le goût des « mots-valises » souligné par l’ensemble des critiques : « l’univers des mots « fabriqués » par Hédi Bouraoui tels que « Sfaxitude », « transpoétique », « créaculture », « nomatitude », « vésuviade » et encore bien d’autres […] » (p. 215).

Les productions romanesques de Hédi Bouraoui sont également scrutées avec acuité par Rachid Aous, qui nous entraîne dans  Paris Berbère : « L’intrigue met ici en scène, ce qu’Amine Malouf nomme « Les identités meurtrières ». Tassadit et Théo auront à en subir les affres, en lien direct avec des aliénations identitaires, cultuelles et culturelles, enracinées dans les consciences » (p. 196). On devine les profonds retentissements que cette problématique peut avoir aujourd’hui, pour les couples mixtes, ou tout simplement les hommes de bonne volonté confrontés aux obscurantismes et aux préjugés…

Soulignons encore un point : l’œuvre de Bouraoui, si elle est connue, appréciée et commentée par les amateurs et les spécialistes, n’est sans doute pas encore suffisamment connue du « grand » public ; cet écart serait comblé par la lecture de ce recueil critique, illustré de nombreuses photographies, enrichi de références pertinentes. Une occasion à ne pas manquer… car faire connaissance d’un des esprits les plus joyeux, généreux et talentueux de notre temps est un privilège et un plaisir, pour toutes et tous.

C’est sur quelques mots particulièrement topiques de Monique Labidoire que nous aimerions refermer  - temporairement au moins – cette recension :

« Les titres des trois recueils d’Hédi Bouraoui que sont Nomadaime, Émigressence, Livr’errance suffisent à montrer la volonté du poète d’être « sans domicile fixe » pour habiter poétiquement le monde » (p. 52).

Ainsi rejoignons-nous,  l’espace d’une formule, le grand projet poétique d’Heidegger, pour qui « c’est en poète que l’homme habite la Terre ». Il songeait certes aux romantiques allemands, mais rien ne s’oppose à ce que nous symétrisions le cosmopolitisme de Bouraoui avec l’illuminisme d’un Novalis ou d’un Hölderlin…

 

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