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Qu'il fait bon dans mon moulin
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12 janvier 2017

Abraham, Isaac et Khamous

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                                                 Abraham, Isaac et Khamous


A l'âge de deux ans maman m'emmena à l'école rabbinique (le koutab) de Rabbi Isaac Zagdon alias Bekhor (l'aîmé). Après deux mots échangés avec moi, je rentrai dans un mutisme qui me valut de reporter à l'âge de cinq ans, le début de mes études judaïques.

Ainsi en même temps que la maternelle, je commençai à prendre des cours chez Rabbi Isaac. J'adorai ce rabbin. Il était si gentil avec nous que ce fut un plaisir d'être son élève. J'avançai bien, et il était satisfait de mes progrès.

La renommée du rabbin lui emmena des nouveaux élèves du quartier de Moulinville. Le nombre des écoliers le poussa à ouvrir une deuxième classe. Pendant les vacances scolaires, nous étions au koutab toute la journée, ce qui libérait nos parents du devoir de nous occuper et ils pouvaient se consacrer aux taches journalières.  

Le salaire d'instituteur rabbinique n'étant pas fructueux, Rabbi Isaac tenait aussi une bijouterie, ainsi à onze heures il devait nous quittait. Pour cette raison, il  prit un associé, Rabbi Khamous le rouquin. Rabbi Khamous tenait les deux classes pendant l'absence de Rabbi Bekhor qui sortait pour effectuer son second métier. La tactique de Rabbi Khamous était simple : il nous assemblait et nous racontait une histoire, une légende, un conte ou une aventure. Comme il avait un don inné de conteur, il nous tenait en haleine pendant une heure

L'après-midi c'était Rabbi Khamous qui sortait pour exercer sa profession secondaire, égorgeur de poules et de moutons : il était sollicité de partout. C'est alors que Rabbi Isaac le suppléait : il nommait des surveillants parmi les anciens qui se faisaient un plaisir de servir de moniteurs. On se plaisait si bien dans cet institut, que la recréation de midi pour le repas et la sieste nous semblait trop longue.

Avec Rabbi Isaac, l'étude était un plaisir, ma bonne mémoire aidant je gravis bien vite les échelons et j'ai sus lire la Bible, la traduire en judéo-arabe. J'ai assumé avec joie le devoir de participer aux trois prières du jour, de même que celles des fêtes et du samedi. Durant le mois d'Eloul et les dix jours séparant Rosh Hashana de Yom Kipour, on me voyait très tôt le matin assis avec les fidèles lisant les prières du repentir, les Sélihot, Tout ça sous l'influence de Rabbi Isaac. Il ne m'a jamais rien dit, ni aux autres élèves. Mais nous lui étioins tellement attachés…  

Plus tard, ces deux rabbins, Isaac et Khamous  se retirèrent de l'instruction et laissèrent la place à Rabbi Abraham. Ce dernier était habillé d'un éternel manteau de mode écossaise, très voyant  avec ses couleurs vives rouge, vert et noire, ce qui était rare à l'époque.

Ses méthodes pédagogiques rappelaient celles des instituteurs de l'époque, voir sévère. On se languissait déjà de nos rabbins si gentils et si prévenants Isaac et Khamous.

Le  bouc émissaire de Rabbi Abraham était Lalou Bismuth qui recevait des coups à longueur de journée. L'arme favorite du Rabbi était un mouchoir noué au bout. Celui qui se trompait recevait un violent coup de nœud de mouchoir sur le bout des doigts.

La punition extrême était la falouka : l'élève puni était lié, les deux chevilles ensemble et il recevait sur la plante des pieds des coups de baguette, dont le nombre variait selon la gravité du délit. Mais cette punition était en mesure dans des cas rares, non pratiquée dans nôtre institut.

Je fus puni moi-même un  jour, pour la bonne raison que mon petit frère Simon est tombé du banc ou il était assis. Rabbi Abraham n'a pas voulu entendre ce que j'avais à dire pour ma défense : je n'étais pas sur les lieux, étant sorti sur son ordre appeler la mère d'un enfant turbulent.

Ce n'est pas étonnant qu'un beau matin jour j'aie raté (on disait chtrâter l'école, rater avec intention) le cours. J'ai tourné toute la matinée, pour revenir à la maison à midi. De même l'après-midi, et de même le lendemain.

Le soir du lendemain, je vis avec effroi le manteau bariolé du rabbin dans le quartier.

Peu de temps après, Rabbi Abraham fit son entrée chez nous. Je tremblai de peur. Mais le rabbin ne fit aucune allusion à mon absence et je lui en fus gré. Il s'assit, demanda un café à maman, une cigarette à papa et il ouvrit un livre et se mit en devoir de me faire des répétitions.

-- Mireille, ton fils fait des grands progrès, depuis qu'il est chez moi. C'est un plaisir de l'instruire.

Des progrès, pensai-je ? De quels progrès parle-t-il ? Sottises, oui. Depuis que Rabbi Isaac et Rabbi Khamous sont partis, j'ai perdu de mon assurance, et j'ai commencé à m'embrouiller et à bafouiller dans la lecture des Lettres Saintes.

Maman ayant  trouvé la visite du Rabbin bizarre, ne pouvant pas être sans raison, demanda à brûle pourpoint  -, et j'ai senti mon cœur défaillir :
-- Rabbi, mon fils était en classe ?
-- Quand ? Aujourd'hui ou hier demanda le sournois ?
-- Hier et aujourd'hui, demanda maman.

Les oreilles de papa se dressèrent, les miennes rougirent. J'aurai voulu que le sol se dérobât sous moi, disparaitre...


-- Je ne mentirai pas. Mais à condition que vous ne touchiez pas ce pauvre gosse répondit le sadique  Ni hier matin, ni hier après-midi, ni ce matin, ni...

Il ne pouvait pas se taire ? Régler ce compte seul à seul avec moi ? Sans me faire pâlir devant mes parents ?  Pourquoi cette méchanceté ?  Bon… Je  fus puni… peu de temps après,

Etant déjà en secondaire à la rentrée des classes, j'ai expliqué à mes parents abasourdis que j'ai besoin d'un peu de liberté, moins de coups de baguettes sur le bout des doigts…  Et je me suis éloigné de la synagogue pour assez longtemps.

Entendant l'histoire des coups, maman n'en croyait pas ses oreilles.  Ainsi, après mes confidences, mes frères et moi avons tracé un trait sur le koutab.  Reste ancrée dans beaucoup de mémoires des punitions et de la rancœur.

Pourtant la chance sourit à Rabbi Abraham. Quand sa fille aînée se maria, il lui acheta comme cadeau de noce un dixième billet de la loterie nationale. Et devinez qui a gagné le dixième du gros lot? Oui, la fille aînée du Rabbin. Ce rabbin si avare devint un saint que le ciel rembourse.

Et quand la cadette du rabbin se maria trois ans plus tard, devinez ce qu'il lui a offert comme cadeau de noces ? Vous donnez votre langue au chat ? Eh bien ! Elle a reçu comme dote un dixième de billet de la loterie nationale. Et vous savez qui a gagne le gros lot ? C'est... la cadette du rabbin.

Alors si quelqu'un me dit que Rabbi Abraham n'avait une ligne directe avec la chance, alors il aura tort.

 

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