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Qu'il fait bon dans mon moulin
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31 mai 2019

Ne pas faire de faux-pas au tribunal

justice

Ne pas faire de faux-pas au tribunal

Un beau matin du mois d'août 1951, les grandes vacances battaient leur plein à Sfax. Moi, en ce temps-là j'allais bricoler auprès de mon papa dans les travaux de plomberie et installations sanitaires dans l'entreprise Ceramix. Nous avons travaillé dans tous les nouveaux immeubles construits, bâtiments d'habitations, le Mabrouk Palace et le nouveau tribunal de Sfax en fin de travaux.

 

Ce jour là je n'avais pas trop envie de sortir et j'ai trainé, pour gagner du temps à ma toilette. Chose à laquelle maman n'était pas dupe.
- Si tu vas à la besogne, tu seras payé et tu pourras acheter avec l'argent acquis ce que tu voudras. Et tus sais je voudrais que tu dises à papa d'envoyer quelqu'un m'acheter deux poulets.

 

Bon, j'vais. Les poulets c'est essentiel pour la nourriture. En marche. Arrivé au nouveau tribunal, près de la gare je rencontre le jeune Elie, le frère de Gisèle, qui tout comme moi vient faire de l'argent de poche et peut-être apprendre un métier.
- Bonjour Elie. Que se passe-t-il ?
- Bonjour. Ton père n'est pas là.

 

Mon père est le contremaître, c'est lui qui dirige les travaux dans l'Entreprise Ceramix et des fois il est appelé au bureau pour un entretien ou une nouvelle initiative. Ainsi mon père n'est pas là.
Et quand le chat n'est pas là, les souris dansent. Elie et moi
commençons à nous amuser. Je dis à Elie :

 

- Regarde : je vais glisser le long du rebord de la fenêtre et de là je vais faire un saut sur l'auvent construit au-dessus de la porte.
- Tu ferais ça ?
- Facilement mon pote, foi de mousquetaire.

 

Et je mis mon plan en exécution. Arrivé à l'extrémité de la bordure, ayant eu une seconde d'hésitation, je me suis donc baissé un tout petit peu, un tout petit de trop, ce qui me valu un déséquilibre, quand mon postérieur toucha le mur.

 

Ce fût la chute. Une chute qui dura assez longtemps. Une seconde ou moins. Une demi-seconde ? Un quart ? Un temps assez long pour invoquer tous les saints, le grand manitou compris, pour me poser mille questions. Pourquoi ceci doit m'arriver ? Dois-je mourir ? Si tôt ? Pourquoi si vite ? Pourquoi faire souffrir maman et papa ?

 

Puis vint le choc ! … Merci… Je pense, donc je vis. Mon front a frôlé quelque chose de solide et j'ai eu droit à une égratignure, mais ma jambe gauche est immobile, elle a reçu le grand coup sur le pavé. Le reste de mon corps grâce à la grande miséricorde de tous les saints a été amorti sur un grand tas de sable.

 

Elie mon seul témoin, Elie s'affaire à alerter du secours :
- Rahmine, viens vite, Camus est tombé. Mais Rahmine ne le croit pas.
- Msihid, viens vite, Camus est tombé. Mais Msihid ne le prend pas au sérieux.
- Yossi Fertouk mon ami, pourquoi ne viens-tu pas au
secours de ton voisin ?

 

Sur ces entrefaites, mon père arrive dans la camionnette de l'entreprise, conduite par le fidèle chauffeur. Il me transporte directement chez le Dr' Tourneboeuf, jeune chirurgien de la Rue des Belges, la même rue où se situe le bureau de Ceramix. Après les examens d'usage et la radiographie le médecin et mon père conviennent que le mieux serait de me transporter à la maison familiale et d'y faire là le nécessaire pour me soigner.

 

Mon papa, ce champion, ne perd pas de temps, il arrange dans mon lit une  élévation du côté du tronc, il ajoute un barre-fixe  me permettant  de régler ma position si besoin est.

 

Tout ça en un temps record, afin de permettre au Dr' Tourneboeuf de venir faire sa noble profession. Maman aussi a eu sa part dans les préparatifs, elle m'a préparé des caleçons à enfiler d'une jambe, quant à l'autre ne pouvant être enfilée, elle y a ajouté du côté gauche ouvert,  des boutons à pressions.

 

Allongé sur mon lit, le chirurgien étira ma jambe blessée - fracture au col du fémur - la plaça sur appareil, fixée par une tige en platine, des poids la tenant immobile et tendue. Pas d'intervention chirurgicale ni de plâtre. Je devais rester dans cet état jusque la fin du mois d'octobre. Méthode moderne d'auto-guérison.

 

Ô maman quel ennui ! On m'a apporté des romans formidables les Pardaillans de Michel Zevaco en dix tomes, des gâteaux à n'en plus avoir envie, des bandes dessinées apprises par cœur.

 

Le fils de Kinowa, un bébé tombé du chariot attaqué par les indiens apaches dans le Far-West, est élevé par les agresseurs. A l'âge de vingt ans, le fils de Kinowa, baptisé Plume Blanche par ceux qui l'ont élevé est un guerrier remarquable.

 

Il se trouve dans un combat sans merci devant on père, le scout scalpé Kinowa. Le pire pourrait arriver si à la dernière minute Kinowa ne découvre sur le corps de son fils une marque, un signe de naissance. Le combat cesse sur le champ, coup de théâtre !

 

C'est comme Pardaillan qui a rencontré son fils au cours d'un duel, son fils fruit d'un lien avec Fausta. Au cours d'un combat d'escrime, les deux, élèves d'un même maître, sortant de la même école, le duel est interminable.

 

Quand Pardaillan fait une feinte il crie :
- Ecco la Saeta.
- Ecco la Pare, répond le fils

 

Ainsi Pardaillan comprend que si le même maître a enseigné l'escrime à son adversaire ça ne pourrait être que…
- Tu es le fils de Fausta ?
- Oui.
- Je suis ton père. Arrêtons ce duel inutile, mon fils. Viens que je t'embrasse.

 

Mais l'ennui d'être sur place et de ne pas bouger est trop fort.
Maman m'apporte un beefsteak aussi grand qu'un plateau, d'une nuance foncée, rappelant du foie par sa couleur.

 

-Qu'est-ce ? Demandais-je à celle qui me donna le jour ?
- Un steak tu vois…
- Non, je n'en veux pas. Je ne pense pas que c'est de la viande Cacher.

 

Les supplications de mamans ne servirent à rien. Je me méfiais de cette viande que je ne connaissais pas. Trente ans plus tard maman avoua que c'était de la viande de cheval que sa voisine lui proposa de me donner afin que je prenne des forces.

 

L'ennui aidant, regardant par la fenêtre ouverte les oiseaux virevoltant sur les murs, je me suis souvenu de mon fusil à plomb. J'étais bon viseur. Je ne chassais jamais les oiseaux, mais je m'amusais à viser en fichant dans le canon de la carabine des boulettes de papier. Justement Vivi venant à passer devant moi; il n'avait plus envie de porter des langes, et il envoya balader d'un coup de pied le tissu qui enveloppait ses hanches. Mon frère Simon me dit :

 

- Son zizi est nu.
- Je vais le viser.

 

Je tiens ma carabine, j'épaule, je ferme l'œil gauche, je vise soigneusement, j'appuie sur la gâchette et en plein sur la turquette.

 

- Ouïe ! s'écrie Vivi pendant que Simon étale ses compliments devant mon adresse.
- En plein dans le mille s'écria Simon. Elle se balance comme le battant d'une clochette.

 

Maman va voir ce qui se passe chez Vivi et rien n'attirant son attention retourne à ses occupations. Entretemps, ma sœur Louise passe balayant la cour. Chez Louise, rien ne presse, elle balaie, s'arrête là où un papier posé quelque part est lisible, elle s'y intéresse, le lit. Pendant qu'elle s'attarde je l'étudie.

 

Elle a la marque d'un vaccin sur la jambe, un peu plus bas que son short.
- Je vais viser cette griffe.
Je tiens ma carabine, j'épaule, je ferme l'œil gauche, je vise soigneusement, j'appuie sur la gâchette et en plein sur la cible, le rond du vaccin.
- Ouïe ! crie Louise. Maman, retiens tes fils.
- Retenir mes fils ? Un gosse pas plus que trois pommes et ton frère blessé couché sur son lit ? De quoi tu parles ?

 

- Je parle, tout à l'heure Vivi, maintenant c'est moi qui ai mal ici à la jambe. Et tu les innocentes ?
- Oh ! la, la la. Nous avons fait du grabuge, Simon je mets une boulette de papier dans le canon de la carabine, tire sur moi, je veux savoir si ça fait vraiment mal ce truc.
Simon mon frangin, pas plus haut que trois pommes, malicieux comme pas deux, ne se fait pas prier et tire même sans viser, la boulette de papier  traverse mon short et va toucher directement ma cagnotte. Je ressens une douleur vive là où les cerises reposent sur la tige, pour cette fois malmenées par le petit frère.

 

Je me retiens de crier ouïe, et déclare à Simon que ça fait mal.
- je dois reconnaître ma mauvaise conduite envers Vivi et Louise, et faire "mea culpa" mon cher frère Simon. D'abord devant nôtre créateur, espérons que j'aurais ensuite le courage de demander pardon à non frère et à ma sœur concernés.

 

Entretemps Simon cache mon fusil. Ni vu ni connu jusqu'à nouveau rappel de  conscience.
Le temps passe, j'essaie de laver mes remords en racontant des histoires à Vivi et en lui proposant des choux à la crème que je ne mangerai pas. Je le coiffe, j'aimais coiffer dans le temps. Je lui fais la lecture des bandes dessinées de Bingo Bongo le roi du Tongo.

 

Un beau matin je vois maman entrer et placer dans le placard - ma pièce servant ordinairement de salle à manger - 10 tablettes de chocolat. Je les regarde avec envie. Un de ces jours, je pourrais peut-être en chiper une part. C'est insensé ce que je dis, si tous les gâteaux ne m'attiraient plus, le chocolat lui, me clignait de l'œil…

 

Bref, l'automne arrive. Le jour du Grand Pardon, mes parents vont à la Synagogue, tandis que je reste à la maison. On me permet de ne pas jeuner, alors que j'ai perdu l'appétit. Jeuner n'est plus un problème pour moi.

 

Sous l'aisselle droite, une grosse boule s'enfle. La découverte d’un ganglion sous l’aisselle est parfois inquiétante. Pourtant, dans la majorité des cas, un ganglion lymphatique gonflé dans cette partie du corps est bénin. Le médecin est sollicité, il arrive me fait respirer un narcotique et ouvre d'un coup de bistouri ce gonflement de liquides dont l'origine est une plaie à l'avant-bras. Pas de soucis à se faire dit le docteur Tourneboeuf en souriant et il tend la cuvette - dans laquelle ont abouti les liquides lymphatiques -, à vider.

 

Au Lycée les études commencent de bon pied (à part le mien). Mon ami Angelini vient me voir presque tous les jours, m'apportant sur son cahier de textes, les devoirs à faire et les leçons à revoir. Le temps arrive où mon chirurgien me délivre de mon appareil. Je pourrais me lever quand je voudrais. Ma jambe gauche, sans mouvement durant plusieurs semaines, a maigri énormément maigri. Je la pose par terre. Impossible encore de marcher. Ça prendra du temps, dix jours ou quinze supplémentaires afin de l'habituer au contact du sol, d'une sandale, d'un soulier. Maman est triste. Je la calme;  ça passera vite.

 

C'est le moment que je choisi pour chiper le chocolat qui me tente. Me trouvant seul à un moment donné, je sautille sur un pied, saisit une chaise et m'adosse à elle, comme à une chaise roulante, pour faire des pas. J'arrive au placard, prend une tablette et reviens au lit. Le chocolat ne dure pas longtemps. Je cache le papier qui enveloppait la tablette. J'attendrais une bonne occasion pour m'en débarrasser.

 

De jour en jour, les dix tablettes disparaissent. Qu'elle est la surprise de maman quand elle ne les trouve pas. Elle n'est pas habituée à ce genre de larcin. Elle demande qui a prit les tablettes de chocolats et ne reçoit aucune réponse.

 

Personne ne sait rien.
- Voulez-vous accuser ce garçon qui est encore incapable de marcher sur ses deux pieds ? Non, j'espère. Moi je me suis senti très mal dans ma peau.

 

Personne ne m'accuse. C'est la raison pour laquelle j'ai tout avoué plus tard. A mon grand étonnement mon aveu a fait  rire l'assemblée de mes frères et sœurs. Ils sont tellement gentils qu'ils n'ont pas pensé à m'en vouloir.

 

De tout ça reste une histoire  publiée dans Tunecity en 2007. Une histoire qui a fait rire le docteur Tourneboeuf et son épouse. Une histoire qui m'a valu de connaître Claude Tourneboeuf la belle fille du médecin.

 

Reste la douleur au col du fémur qui m'alerte lors des changements de saisons et avant les pluies.

Bonne santé à tout le monde et je vous préviens :


Ne pas faire de faux-pas au tribunal

 

justice

 

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