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Qu'il fait bon dans mon moulin
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19 juin 2015

Tarzan à Borj Ennar : souvenirs de Sfax

Tunisia-Sfax-Place-republique-2005

Tarzan au quartier réservé 

En bref : Pour faire vite, je me dirige vers la sortie de Bab El Jebli. En route je passe par le Souk El Khadra, le marché aux légumes, Souk El Kmas, qui comprend les étalages dans les boutiques de tissus qui sont vendus au kg.

Je vais en ville arabe, visiter mon cousin Alexandre.
Le but de notre rencontre est mon envie de lire les B.D hebdomadaires de Tarzan. Alex m'a prié un jour de venir le dimanche à 10 heures et j'ai accepté. Depuis c'est devenu une habitude. J'entre dans la Médina, à partir des 33 marches accédant à l'entrée de Borj Ennar, la Tour de Feu. De la, un phare indiquait la direction de la ville aux bateaux et aux péniches qui arrivaient de nuit, du temps que la ville moderne n'existait pas, la mer aujourd'hui repoussée, arrivait jusqu'au port, pas loin des remparts. Bab Ed Diwan était l'entrée de la douane. Diwan est la déformation dans le parler local du mot Douane.

Bibi El Marsaoui.

A peine entré dans la rue adjacente aux escaliers de Borj Ennar, je rencontre Bibi El Marsaoui, notre voisin du passage Rendu et ami de la famille, assis à la porte d'un café, la narguilhé au bec. Il s'étonne tellement de me voir, que ses yeux s'agrandissent, le tube tombant  de sa bouche qui s'arrondit et il me demande, les cheveux hirsutes:
-- Camus que fais tu ici?
-- Je vais chez mon cousin.
-- Descends par ici, me dit-il en m'accompagnant à la sortie de l'enceinte. Ne reviens jamais plus ici. Ni cousin, ni cousine, ni la gente féminine.

Je m'en vais, je peux pénétrer dans la Médina par Bab Ed Diwan. Rien de grave n'est arrivé, mais pourquoi Bibi m'a-t-il interdit l'accès de la ville ? Qui est la gente féminine ? Bibi est bien gros et son allure impose le respect. Lui, ses parents et son frère Mohamed sont des amis de la famille. Je ne peux pas le contredire, ni lui ni tous nos voisins. Honorer les voisins est chose connue et commune à Sfax.

La discipline et le respect existaient à l'époque, pas d'équivoque !

Je pénètre donc par l'entrée principale et tourne vers la Rue de La grande Mosquée. Je passe le magasin de Camus Bouhnik, surnommé Galini, un oncle de papa,  la clinique du médecin et celle du dentiste,  l'affaire de Salomon  Bouhnik aussi, le fère du précédent Bouhnik, second oncle paternel, puis  tout près, la boutique de Farjoun et  Eliyaou Bouhnik les marchands de tissus, Elyaou a un éternel béret sur la tête.  A ma gauche se trouve Didekh le pâtissier étalant sa marchandise, des baklavas et de  l'orgeat à vous donner faim et soif.

La grande mosquée occupe une grande partie de La Ville Arabe. J'azrrive bientôt à destination.

Alexandre et ses parents, ma tante Yvonne et mon oncle Dido habitent à Souk Bella'aj. Le souk n'est pas abrité de la chaleur par un plafond en voûte, comme le souk des étoffes,  éclairé par de nombreuses ouvertures dans la coupole. Souk Bella'aj est protégé par deux portails qui seront fermés la nuit. Le rais de chaussée du souk est occupé par des commerçants, des tailleurs, un café, un salon de coiffure et une mercerie. Les étages sont habités.

Du coté Ouest du souk est situé un petit marché, ou l'on trouve des poissons et des légumes prêts à dessein pour accommoder une soupe: On peut acheter une ration comprenant du persil, du céleri, deux carottes, un petit navet et un demi chou, un chou-rave et d'autres fraîcheurs, le tout afin de mettre la marmite sur le feu et préparer le potage.
Parallèlement  au Souk Bella'aj, se trouve le Souk Shaker ou habitent  les grands-parents  paternels d'Alexandre, Mama Beya (Chelbeya) et Baba Sissi (Nessim).

Tonton travaille comme tailleur et son atelier est installé dans l'une des pièces, le salon. Son fils lui sert d'auxiliaire et ma tante aussi, quand son temps est libre. Le tailleur Boublil lui fournit du travail continuellement.

Les B.D.

Je fais mon entrée et après les salutations d'usage, je m'assois devant les B.D. Mais ce n'est pas mon tour de lire, je suis le troisième dans la liste des lecteurs, car un liste existe, non pas ecrite, mais liste il y a.

D'abord c'est Alexandre: il doit lire avant moi, parce qu'il est en recréation.  Il prend ses pauses selon la marche du travail. Bon, c'est un cas de force majeure. Après la lecture de la brochure, mon cousin prend un crayon et se met à dessiner une gravure de la troisième page. Sa détente passée, c'est le tour de Mardochée le fils de Galini  (zal - Mardochée a été tué en 1954 tombé dans une embuscade avec ses camarades, durant son service militaire, dans le col des scorpions en route vers Eylat). Mardochée doit retourner à son travail, il a priorité. Il est tout juste arrivé et doit repartir, entre autre prendre et  livrer le déjeuner à son père. Mon attente a duré près de deux heures et nous arrivons à l'heure du repas que je ne veux pas partager, n'ayant pas faim. Ou plutôt...

... La brochure me clignant un œil, je m'approche d'elle, mais mon oncle est plus agile que moi, il la prend me rappelle que mon tour est après lui et il  commence à feuilleter l'hebdomadaire. Il n'a pas d'autre occasion de lire à part celle de le faire en mangeant. Lui aussi aime les B.D. tonton Dido (et le foot). Apres le repas, il demande le café que prépare Alexandre. A treize heures trente, mon oncle retourne au boulot.  C'est mon tour, je lis rapidement l'essentiel et je prends congé. Maman m'attend  pour le repas composé de spaghettis qu'elle prépare tous les dimanches avec un ajout de viande resté de la téfina du samedi.

Pour faire vite, je me dirige vers la sortie de Bab El Jebli. En route je passe par le Souk El Khadra, le marché aux légumes, Souk El Kmas, comprenand les étalages des boutiques de tissus vendus au kg.

Je traverse La Romana, le souk ou l'on vent des pelures de grenades qui seront ajoutées à la paprika, afin d'abaisser son coût (et son goût?). Il y a dans ce souk des cordonniers qui confectionnent des copies de chaussures à la mode et des sandales de caoutchouc pris dans des vieux  pneus de voiture et  remis dans le commerce. Le pneu est pour la semelle, tandis que de la  chambre à air, on prépare les bandes retenant les souliers. Toutes les marchandises sont vendues à bas prix, mais la qualité est proportionnelle. Apres le souk de La Romana, je traverse la rue des forgerons et je me retrouve dehors.

A ma droite se trouve la caserne "Dar El Askri", la maison des soldats. De partout, les mendiants "Ya krim Taá Allah" demandent la charité. Des femmes assises sur le trottoir se nettoient les lentes à tour de rôle. A ma gauche, le maréchal ferrant toujours occupé ne lève pas la tète des sabots des bêtes qu'il solidofie. Je dégringole la pente, et pour gagner du temps, je saute sur un carro (chariot) de passage. Il arrive qu'on avertisse le charretier qu'il a un voyageur clandestin, en lui criant :  "ourak, ourak" ! Mais,  je suis déjà arrivé a Moulinville.    

A 15 heures j'entre dans  la maison, c'est le plus vite que j'ai pu faire. Inutile de vous dire que la maisonnée a déjà déjeuné et que les pâtes sont assez froides. Maman n'est guère contente du retard et elle me le fait savoir de la parole et du regard. Je baisse les yeux.

Papa vient à mon secours en me proposant d'acheter moi-même mes brochures: à quoi bon retarder pour les repas et manger seul, le dimanche ? Pour 35 millimes ? Il me les offre !

Je me rends au kiosque devant la Municipalité et j'achète non pas Tarzan, mais "Le petit shérif". Je tombe sur le premier numéro sorti.  (Pas une page à suivre, mais 35 pages d'aventures alléchantes)!

Il s'avère que mon père aussi aime lire les B.D. ce qui me vaut une augmentation du budget. Je commence à m'intéresser à "Héroïc", avec les incomparables aventures de Kinowa le scalpé, de son fils perdu encore bébé, tombé du chariot lors de l'attaque de la caravane et recueilli par les Indiens Apaches, élevé et aguerri par eux. Devenu guerrier et répondant au nom de Plume Blanche, il se trouve face a face avec  son père, Kinowa, la terreur des Indiens dans un duel sans merci, ou le plus fort survivra. {Lisez notre prochain numéro.}

Un autre volume de  B.D. qui nous a plu énormément, c'est Targa, une variation de Tarzan, mais au lieu d'une page par semaine, nous en lisons 48 une fois par mois. Targa, avec sa belle envergure, très musclé, nage aisément se bat contre les fauves  rebelles, en a le dessus, grimpe comme un singe et saute de liane en liane pour traverser la jungle à une vitesse-éclair. Targa a à son coté droit Tinga sa compagne et de l'autre Khan, sa panthère noire.

Pecos-Bill le légendaire héros  du Texas (et la jolie Meg) est ajouté bientôt à nos B.D. Je l'ai suivi depuis le numéro 7 que j'ai acheté à ma Bar Mitsva (ma communion). Pour remédier à mes six brochures manquantes, j'ai eu recours à Gaby Seroussi le rouquin (ce roux-ci), un cousin éloigné, mais au point de vue relations amicales, très proche.

Gaby habite tout près de Borj Ennar et les visites commencent tous les dimanches qui suivirent.  Chaque fois en montant  les trente trois marches, menant à la Tour  de Feu je regarde avec précaution, si des fois Bibi n'est pas la en train de siroter sa narguilhé.
Si le champ est libre, je fais une entrée de brave, le buste gonflé. Je m'arrête alors chez le fabricant de breuvages gazeux et achète une bouteille de boisson  fraîche, une boga, ah comme elle bonne !

Si Bibi y est, je file d'un pas félin vers la droite. Je passe chez Gaby des heures à lire, même quand il n'est pas la. Sa seule demande est que je rende les albums en place, comme ils étaient auparavant, bien arrangés l'un sur l'autre, chaque collection à part. Je lis des heures durant sans me fatiguer, ni la faim, ni la soif ne me tenaillent, seulement l'envie de savoir la suite de l'épopée.

Les filles de Borj Ennar.

Un peu fatigué de finir mes dimanches à courir de Moulinville à Borj Ennar, je fais une pause de trois semaines. C'est alors que Gaby me fait savoir par son frère Jojo qu'il vient d'acquérir à un prix modique toute la collection de Tarzan. Jojo me dit que je serai le bienvenu, le dimanche prochain et ceux qui viendront après.

Donc, un beau dimanche matin me voila en route, je pénètre dans la Ville Arabe, par Borj Ennar. Apercevant Bibi El Marsaoui, je file vers la droite. Je fais un grand tour, tourne à gauche, revient à droite et bientôt je me trouve dans une rue inconnue.  Devant des portes ouvertes, des femmes sont debout en petite tenue, offrent leurs sourires et beaucoup de plaisir à ceux qui les désirent. J'ouvre des grands yeux. Voila donc la raison pour laquelle Bibi m'a repoussé en dehors de la Tour de Feu. Mais quand on parle du loup, on voit sa queue: Bibi est devant moi, à vingt mètres à peine. Que va-t-il penser de moi, passant dans ce quartier réservé ?

Je n'ai pas le temps de réfléchir que je vois deux hommes bousculer notre voisin Bibi, l'un d'eux chipe le portefeuille de la poche arrière de mon gros voisin et jette le magot en avant. Un gosse court pour le saisir. Entre-temps, Bibi tout en donnant un grand coup d'épaule à l'un de ses agresseurs, crie: "Camus a toi!". Je n'ai même pas le temps d'être le héros que je voudrais être, que le portefeuille tombe entre les paumes de mes mains. Bibi retenant son souffle, libère d'un seul coup son ventre qui se dégage comme un ressort d'acier et envoie le deuxième larron droit contre le mur. En un laps de temps très court, Bibi est près de moi, il envoie l'enfant se promener. Tout a été si rapide, que dois repasser la scène au ralenti, pour la comprendre.

-- Bibi, je suis fier de toi! Tu es comme Tarzan.  Dis-je admiratif, en rendant à Bibi son portefeuille...
-- Oui, Tarzan de Borj Ennar. Camus ! Que fais-tu ici dans ce quartier mal famé ?
-- Je vais chez un cousin.
-- Ni cousin, ni cousine, ni la gente féminine. Descends vite par ici. Et il me pousse vers la sortie de Borj Ennar.

 

Borjennar 1.jpg

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